En effet, au début du mois d’avril 2014, la police congolaise a lancé l’opération dénommée « Mbata ya Bakolo » (la gifle des ainés) pour procéder aux expulsions des migrants en situation irrégulière dans la ville de Brazzaville. Pour le Directeur général de la police, Jean François Ndengue, cette opération a été mise en marche pour « assainir » certains quartiers de Brazzaville qui font face à des actes de banditisme dont certains auteurs seraient des étrangers. Le concept utilisé par les autorités policières « assainir » est en lui-même dangereux et annonciateur des dérives que l’on a constaté des le début de l’opération.
Malheureusement, cette opération lancée contre les migrants en situation irrégulière est aujourd’hui discriminatoire dans la mesure où seuls les migrants originaires de la République démocratique du Congo sont concernés.
Les policiers déployés pour cette opération versent dans l’arbitraire : Actes de torture, de violences physiques, de xénophobie, de traitements cruels, inhumains et dégradants, pillage des domiciles et boutiques, de destruction des biens, de confiscation des papiers de séjours etc. Les notions de respect de la dignité humaine totalement absentes dans les agissements des policiers. Ces migrants irréguliers (RDC) sont arrêtés et entassés hommes comme femmes dans des cellules de garde à vue des commissariats de police transformées en lieux de rétention pour la circonstance avant la reconduite à la frontière (Beach de Brazzaville).
Aussi, la police, procédant dans une confusion totale, perd la cible que seraient les migrants en situation irrégulière, s’attaque aussi aux migrants en situation régulière, aux réfugiés statutaires et demandeurs d’asile. Ces derniers sont rançonnés, détenus dans les commissariats (achètent leur libération) et sont victimes de violences physiques. Certains ont été admis dans les hôpitaux en raison de ces violences.
Des informations à notre disposition, au moins trois réfugiés de la RDC se sont retrouvés de l’autre coté de Kinshasa dans des circonstances qui restent à élucider. Jusqu’à preuve de contraire, l’OCDH considère que ces réfugiés seraient expulsés par les agents de police. Les responsables du Comité national d’assistance aux réfugiés (CNAR), organe gouvernemental affirment s’être à pied d’œuvre pour les ramener à Brazzaville.
Plusieurs réfugiés et demandeurs d’asile de nationalité confondue (les noms des victimes ne sont pas cités pour protéger l’identité des victimes) ont vu leurs domiciles être visités par les policiers, qui ont détruit certains de leurs biens par incinération et leur ont pris d’autres, notamment les téléphones, documents d’identités etc. dans les quartiers situés du coté nord de la ville Brazzaville (Talangai, Mikalou, Soprogie…) Ce constat est illustratif des dégâts causés aux personnes. Les autorités de la police congolaise ont annoncé à chaud le 18 avril, la radiation de dix sept (17) policiers qui se seraient livrés aux exactions contre ces étrangers, sans indiquer ce qu’il en est du dédommagement des victimes de ces exactions. Ce qui laisse soupçonner une simple opération de diversion. Les autorités policières doivent communiquer sur les différentes exactions commises par ces policiers, les traduire en justice car, seul un procès juste et équitable pourra convaincre de l’intention réelle de la police. Néanmoins, ce geste de communication est révélateur d’une reconnaissance des abus commis par les policiers. Dans ce cas les responsabilités doivent être établies sur toute la chaine de commandement pour rassurer de la volonté de la Police nationale de ne plus laisser commettre de telles exactions.
La communication défectueuse et menaçante des autorités congolaises en particulier de la police sur cette opération d’expulsion des ressortissants de la RDC a une répercussion négative sur les réfugiés et demandeurs d’asile de même que sur les migrants (RDC) en situation régulière vivant à Brazzaville. Plusieurs d’entre eux voient leurs contrats de bail être résiliés et se trouvent sans abris.
Les violences incompréhensibles constatées ne sont autres que la conséquence du manque de préparation de cette opération par les autorités policières et du manque de professionnalisme des agents de police déployés pour cette opération. Ces violences marquent également un recul dramatique en matière des droits fondamentaux des migrants en République du Congo.
Les chefs de quartiers et/ou de blocs ainsi que les agents des services de sécurité procèdent actuellement à un recensement administratif des ressortissants de la RDC. Plusieurs domiciles ont déjà été visités de nuit par les agents des services de sécurité. L’OCDH craint que ces visites nocturnes aboutissent à des enlèvements et disparitions forcées des gens.
Le Gouvernement de Brazzaville et le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) doivent prendre des mesures pour protéger les ex-FAZ (forces armées zaïroises) de la RDC qui ne peuvent pas retourner en RDC pour des raisons de sécurité. Dans le même sens, le Comité national d’assistance aux réfugiés doit notifier tous les demandeurs d’asile de la RDC qui ne sont plus en droit de bénéficier du statut de réfugié en raison de l’épuisement de la procédure afin qu’ils prennent toutes les dispositions nécessaires.
– La situation au Beach de Brazzaville
Au Beach de Brazzaville, la situation est invivable sur le site de rétention ou de transit des refoulés. Les ressortissants de la RDC passent des nuits à la belle étoile, exposés aux fortes pluies de ces derniers jours, aux intempéries. Ces conditions extrêmement inhumaines n’interpellent nullement les autorités compétentes (en chef lieu le Ministre de l’intérieur) de la République du Congo, qui auraient dû l’éviter si l’opération était bien préparée. En date du 7 mai, l’OCDH s’est rendu sur les lieux afin de s’enquérir de cette effroyable réalité. Ces migrants y compris les femmes enceintes, les personnes de troisième âge, les handicapés ainsi que les enfants et les nouveaux nés dorment à même le sol, sans couverture dans une insalubrité totale. Il n’y a aucune mesure d’accompagnement ou de protection pour cette catégorie de personnes vulnérables.
Des informations recueillies, on note l’existence d’au moins quatre (4) cas de décès en raison des mauvaises conditions (suffocation), de deux cas d’accouchements précoces dans des conditions difficiles et d’un cas de fausse couche. Les agents de la Croix rouge congolaise présents sur les lieux, bien qu’ayant confirmés ces informations, n’ont pas daigné communiquer les chiffres. L’OCDH a pu constater également les rackets, l’usage récurrent de la chicote et des agressions physiques par les policiers pour « discipliner » ces migrants qui tentaient de franchir les barrières érigées par eux pour accéder au quai d’embarquement.
Pas d’abris, pas de toilettes ni de douches pour se laver, ils font leurs besoins sur place y compris les besoins physiologiques. Le droit au respect de son intimité a perdu totalement son sens. L’esplanade du Beach de Brazzaville a été transformée à un site des personnes déplacées. La prolifération des maladies contagieuses guette ces hommes, enfants et ces femmes et, le risque d’une crise humanitaire est bien présent.
L’OCDH considère les conditions de rapatriement de ces ressortissants de la RD Congo comme une épreuve humiliante et inhumaine, et constituent un véritable témoignage de mépris de la dignité humaine en République du Congo.
Les deux gouvernements doivent éviter l’escalade vers un conflit de nature à déstabiliser les rapports de bon voisinage. Nous rappelons que les migrants en situation irrégulière ne sont pas des criminels et que par conséquent leurs droits doivent être garantis et respectés en toute circonstance.
Face à ce climat délétère, l’OCDH recommande au Gouvernement congolais de :
– Mettre en place une commission indépendante mixte chargée d’enquêter sur toutes les violations commises sur les ressortissants de la RD Congo ;
– Prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l’intégrité physique et morale des ressortissants de la République Démocratique du Congo (RDC) dans le cadre de l’opération dite Mbata ya Bakolo ;
– Mettre rapidement en place un site de rétention administrative approprié qui garantirait le respect de la dignité humaine pour loger ces migrants avant leur reconduite à la frontière ;
– Reconnaitre le droit légitime à tout demandeur d’asile de la RDC ayant épuisé la procédure administrative de contester son refoulement vers Kinshasa en cas de crainte pour sa sécurité ;
– Mettre fin aux arrestations et rackets contre les réfugiés, demandeurs d’asile ainsi que les refoulés.
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