Le 25 octobre 2015 le Gouvernement congolais a organisé un référendum qui a conduit à un changement de Constitution malgré la forte contestation populaire. Par la suite, le Président de la République a décidé d’écourter son mandat et d’anticiper les élections. Il est candidat à sa propre succession. Le 1er tour est convoqué pour le 20 mars 2016. A première vue, l’agenda semble être irréaliste. Une nouvelle loi électorale a été promulguée le 23 janvier 2016. Elle suscite des critiques à plusieurs titres. Cette nouvelle loi électorale reflète dans sa quasi-totalité l’ancienne loi électorale. La seule innovation est le « bulletin unique ». Un texte d’application déterminera les caractéristiques de ce bulletin unique. Nous notons plusieurs dispositions ambiguës qui suscitent des commentaires.

Article 12 : « tout électeur régulièrement inscrit a droit à la délivrance d’une carte ».

Observations : Les opérations de révision de listes électorales commencées depuis 2009 ont révélé leur insuffisance sur la capacité de produire un fichier électoral fiable. Or, les élections passées ont révélé un degré très élevé de désintéressement des citoyens congolais aux questions électorales. Très peu se mobilise pour cette opération de révision de listes. Or, l’enroulement des électeurs constitue une étape fondamentale pour une élection. Le refus du Gouvernement de procéder à un recensement administratif spécial pour une refonte du fichier électoral pourrait cacher une réelle volonté de manipulation.

Article 15 : « les opérations relatives à la préparation des élections relèvent de la compétence conjointe du Ministre en charge des élections et de la Commission Nationale Electorale Indépendante (CNEI)».

Observations : Cette disposition reste ambiguë en ce qu’elle ne fixe nulle part les limites des compétences et/ou des pouvoirs de l’un et de l’autre. Dans la pratique, la CNEI ne dispose ou ne disposera pas de marge de manœuvre suffisante. Le Ministre en charge des élections reste le maitre des opérations électorales. La concurrence entre le Ministre en charge des élections et la CNEI fait douter de la capacité de cette dernière à faire valoir son indépendance et son impartialité. Une commission électorale ne peut être indépendante que si elle est affranchie de la tutelle du Gouvernement.

Article 20 : « le bureau de la coordination de la CNEI comprend :

… 4 vices présidents proposés respectivement par … et par la société civile dont l’objet est en rapport avec les élections ». Observations : Le principe de la participation de la société civile ainsi que de sa représentativité au sein des organes en charge des élections est intéressant. Cependant, la loi ne fixe aucune modalité ou procédure de consultation et/ou de représentation de la société civile au sein des instances de la CNEI. Aucun texte d’application n’est prévu à cet effet.

Article 41 : « … La CNEI fait un rappel à l’ordre verbal ou par écrit, ou convoque à son siège tout candidat qui n’observe pas les dispositions contenues dans les articles 25 à 38 de la présente loi sur le déroulement de la compagne électorale, ou qui, par paroles, agissements de quelque nature que ce soit, trouble la sérénité de la compagne ou met en péril le scrutin.

… La CNEI peut décider de retirer sa candidature sans préjudice de la saisine immédiate des cours et tribunaux si les agissements et paroles sont susceptibles de constituer une infraction à la loi pénale ». Observations : Donner à la CNEI le pouvoir de retirer une candidature pour motif de : «paroles et agissements de quelque nature que ce soit, de nature à troubler la sérénité de la compagne ou met en péril le scrutin » est extrêmement dangereux. Cette disposition est floue et donne droit à l’arbitraire. La partialité de la CNEI ne garantit pas une protection aux candidatures de l’opposition politique. Cette fonction par principe, reviendrait aux cours et tribunaux.

Article 48 : « tout candidat à l’élection présidentielle doit faire une déclaration de candidature légalisée comportant : ……..

– Un certificat médical délivré par un collège de 3 médecins assermentés désignés par la Cour Constitutionnelle.

Observations : A la lecture de cette disposition, tout candidat doit avoir une bonne santé mentale et physique. La subtilité à ce niveau c’est que, le serment d’Hippocrate cesse pendant cette période pour ces 3 médecins désignés au profit du serment politique devant la Cour constitutionnelle. Cependant, la loi ne donne pas la possibilité aux candidats de demander une contre-expertise médicale en cas de doute des résultats qui seront présentés par les trois médecins à la Cour constitutionnelle pour la validation des candidatures.

Article 80 : « le scrutin est ouvert à 7 heures et clos à 17 heures.

Article 82 : « chaque bureau de vote ne peut compter plus de 1.500 électeurs.

Article 83 : « chaque bureau de vote est composé de six membres.

Observations : A la lecture de ces trois articles précités (80, 82 et 83 nouveau), il ressort que les six (6) membres de chaque bureau de vote vont avoir à gérer 1.500 électeurs dans l’intervalle de 10 heures. Ce qui suppose que chaque électeur, y compris les personnes vivant avec handicap et ceux qui ont des besoins spécifiques, disposera de 30 secondes pour accomplir les formalités de vote (vérification d’identité sur la liste, émargement, prélèvement du bulletin, placement dans l’urne, trompe du doigt dans l’ancre…). C’est pratiquement impossible ! Ces trois dispositions portent en elles les germes d’exclusion d’office.

Conclusion :

Les conditions d’une élection crédible ne sont pas réunies. A moins de deux mois du premier tour de la présidentielle, le chaos est apparent. La Commission nationale électorale indépendante (CNEI) n’est pas encore au point. L’opération de révision des listes électorales se poursuit sur l’ensemble du territoire (difficile de savoir à quand le fichier électoral sera disponible et quel sera le délai des éventuelles revendications après publication des premières listes), les cartes d’électeurs ne sont pas encore éditées, le décret d’application fixant les caractéristiques du bulletin unique n’est pas encore promulgué. En fin, interviendra le grand défi logistique. (Acheminer du matériel électoral sur l’ensemble du territoire). Seul un vrai dialogue sur la gouvernance électorale était en mesure de créer un climat de confiance et de sérénité entre les protagonistes. Le germe de la contestation a été semé, le risque d’un climat d’anarchisme est réel. Un report du premier tour est essentiel. Les différents acteurs pourront discuter en toute responsabilité afin de créer non seulement la confiance mais aussi un climat apaisé.