Cependant, la réalité sur le terrain dément toutes ses proclamations et engagements en matière de protection et de promotion des droits humains. Les atteintes à la liberté syndicale sont fréquentes. Depuis février 2013, le secteur de l’enseignement primaire et secondaire a été paralysé par une grève générale de deux mois et demi observée sur l’ensemble du territoire congolais avec pour toile de fond : « la revalorisation de la profession enseignant ». Cette grève a été observée sur fond de violation des droits humains. Entre l’inertie et menaces croissantes des autorités et revendications non satisfaites, les leaders syndicaux enseignants ont été contraints de suspendre le mouvement de grève ce lundi 13 mai 2013 jusqu’au 31 août 2013 et, sortent enfin de la clandestinité.
- La grève, un droit constitutionnel et légitime
Au Congo, le droit de grève est un droit constitutionnel. L’article 25 de la constitution dispose : « A l’exception des agents de la force publique, les citoyens congolais jouissent des libertés syndicales et du droit de grève dans les conditions fixées par la loi ». La grève est par essence la cessation collective et concertée du travail par tout ou partie des salariés pour obtenir satisfaction sur des revendications professionnelles. Étant un droit légitime, le fait de faire grève ne peut donner lieu à des sanctions. Le droit de grève appartient à tout salarié et un employeur ne peut pas forcer un salarié gréviste à travailler.
Il est évident qu’un mouvement qui ne remplit pas les critères et les conditions de la grève est un mouvement illicite. L’exercice du droit de grève peut être qualifié d’abusif s’il ne s’inscrit pas dans le cadre légitime de l’expression collective de la revendication des travailleurs. On parle alors de l’abus du droit de grève. Le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux. Malgré la constitutionnalité de ce droit, l’arbitraire est toutefois observé.
- Immixtion de la police dans l’action syndicale
Suite à l’échec des négociations avec le gouvernement, la Concertation pour la revalorisation de la profession enseignant (CRPE), plate forme syndicale autonome des enseignants, a lancé le 25 février 2013 le mot d’ordre de grève générale sur l’ensemble du pays. Intraitables sur les revendications soulevées, les responsables de la CRPE sont depuis lors dans le collimateur de la police. Les syndicalistes sont malmenés par les autorités en place en violation de la loi et des instruments juridiques internationaux. Plusieurs cas illustrent ces violations et mesures d’intimidation : les interventions de la police dans des mouvements de grève menés pacifiquement par les travailleurs syndiqués, l’immixtion du pouvoir politique pour diviser les grévistes et, des enlèvements ainsi que des arrestations arbitraires. Depuis l’entrée en vigueur du mot d’ordre de grève le 25 février 2013, les syndicalistes et enseignants étaient victimes de menaces et intimidations via des appels téléphoniques par des autorités politiques et militaires, en particulier de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), la Direction départementale de la surveillance du territoire (DDST) et de la Présidence de la République. Le 05 mars 2013, alors que les responsables de la CRPE étaient réunis dans l’une des salles de l’INRAP dans le cadre de leur réflexion, ils ont été surpris par l’irruption dans la salle de réunion du colonel Jean Aive ALAKOUA, porte parole de la police congolaise. Ce dernier a proféré des menaces à l’encontre des syndicalistes et promis de traquer chacun si le mouvement de grève n’était pas levé. Au lieu d’assurer le maintien à l’ordre public, la police crée de l’insécurité au détriment des droits de ses citoyens, exécutant des ordres illégaux provenant de leurs supérieurs hiérarchiques. L’article 10 de la constitution qui dispose : « Tout citoyen, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits humains et des libertés publiques.
L’ordre d’un supérieur ou d’une quelconque autorité ne saurait, en aucun cas, être invoqué pour justifier ces pratiques.
Tout individu, tout agent de l’Etat, toute autorité publique qui se rendrait coupable d’acte de torture ou de traitement cruel et inhumain, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, est puni conformément à la loi ».
De fait, trois jours après, l’Assemblée générale des syndicalistes prévue au stade Alphonse Massamba-debat avait été interdite par les policiers qui avaient déjà quadrillé et investi les lieux dès les premières heures de la matinée.
Un des co-présidents de la CPRE, contraint de vivre dans la clandestinité, a été appelé le 24 avril 2013 sur son téléphone portable par un agent de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) qui l’a menacé en l’exhortant de mettre fin à la grève. Il lui a indiqué que « la police peut vous retrouver là où vous êtes cachés à moins que vous soyez hors du pays ».
- Enlèvements et détention arbitraire
Comme promis par les autorités militaires et politiques, certains enseignants et syndicalistes ont été enlevés à leurs domiciles puis placés en détention de manière arbitraire pendant plusieurs jours, avant d’être libérés après de sévères intimidations. Daniel Ngami, coprésident de la CRPE, Luc Mban Mongo, membres de la CRPE ont été enlevés à leurs domiciles par des agents du Bureau de la sécurité national (BSN) respectivement les 1er et 02 avril 2013 entre 19 heures et 20 heures. Tous deux ont été détenus sans inculpation à la DGST, qui les a libérés le samedi 6 avril après avoir été présentés devant le haut commandement militaire, où ils ont subi de sévères intimidations. Par la suite, Daniel Ngami a été contraint de lire un appel à la reprise du travail dans les médias nationaux. Hilaire Eyima, responsable du département de français du Lycée de la Révolution de Brazzaville, a été enlevé à son domicile par des policiers en civil le 18 avril 2013 vers 19 h 00. Il a été emmené au siège de la Direction départementale de la surveillance du territoire (DDST). Il a été arrêté pour avoir relayé par SMS des informations sur la grève des enseignants. Il n’a été officiellement inculpé d’aucune infraction pénale ; sa famille a pu lui rendre des visites, mais il n’a pas été autorisé à consulter un avocat. « Tout citoyen a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, l’écrit, l’image ou tout autre moyen de communication ». (Article 19 de la constitution)
Jean Claude Nzingoula, inspecteur à l’école de médecine de Brazzaville, a été arrêté sur son lieu de travail vendredi 19 avril 2013 et emmené également au siège de la DDST. Il n’a été inculpé d’aucune infraction .Il lui a simplement été signifié que son arrestation avait un lien avec la grève des enseignants. Les deux enseignants ont retrouvé leur liberté après cinq jours de détention arbitraire, en violation du délai de garde à vue de 72 heures. Ils ont été libérés après avoir été contraints de lire dans les médias nationaux une déclaration appelant les autres enseignants à cesser la grève et demandant pardon pour leur rôle dans celle-ci.
« La liberté de la personne humaine est inviolable. Nul ne peut être arbitrairement accusé, arrêté ou détenu » (article 9 de la constitution). Toutes ces détentions témoignent le statut dérisoire de la loi pour les autorités congolaises.
Par ailleurs, cela fait plus deux mois que les dirigeants de la CRPE vivaient dans la clandestinité. Leurs maisons ont fait l’objet de perquisitions et fouilles systématiques par des policiers en dehors de tout circuit légal à la recherche des fausses preuves d’inculpation, ils vivent donc dans la crainte d’une arrestation arbitraire. La constitution dispose à son article 14 : « Le domicile est inviolable. Il ne peut être ordonné de perquisition que dans les formes et les conditions prévues par la loi ». Le sentiment d’insécurité grandit et reste alimenté par des actions spectaculaires d’appels téléphoniques à répétition assortis de menaces.
Une situation qui relève de l’absurdité et met à nu les dysfonctionnements du système politique et l’incapacité des autorités à dialoguer sereinement avec les interlocuteurs sociaux sans recourir à la violence dans un contexte où elle n’a pas sa raison d’être. Les ministres en charge de l’éducation et leurs collègues en charge du travail se sont livrés à des actes d’intimidation et de menaces de suspension des salaires si les enseignants ne reprenaient pas le chemin de l’école au plutôt possible.
Face à ces menaces de suspension des salaires, les enseignants se sont vus obligés de se présenter dans leurs établissements et de dispenser des cours sans que la grève ne soit suspendue ou levée. Un mécanisme corsé de contrôle serait mis en place pour avoir la main mise sur les enseignants. Ceux qui ont repris avec les cours travaillent sous contrainte et non pas volontairement. Des faits qui s’apparentent à de la torture morale. Alors que la constitution dispose : « Nul ne peut être astreint à un travail forcé, sauf dans le cas d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction légalement établie ». (Article 26). Le personnel enseignant aujourd’hui a plus des devoirs que des droits.
- De la grève à la manipulation politique
La grève des enseignants a fait l’objet d’une récupération par des hommes politiques. Les députés de la majorité présidentielle se sont fortement impliqués en organisant de vaste compagne de discrédit à l’encontre des syndicalistes et de mobilisation des enseignants et parents d’élèves pour les obliger à reprendre le chemin de l’école. Les syndicalistes ont aussi subi une campagne de dénigrement de la part des médias pro-gouvernementaux ; le terme de « terroriste » a même été utilisé pour les qualifier. Les élus du peuple se détournent de leur vraie mission, instrumentalisant ce conflit social au mépris des droits et libertés fondamentales. Le rôle des parlementaires est clair dans la constitution congolaise : « Le Parlement exerce le pouvoir législatif et contrôle l’action de l’exécutif ». (Art. 89) Quelles que soient les revendications des syndicalistes, il est inadmissible que les députés prennent des positions qui frisent la discorde et le manque de respect de la profession d’enseignant. En outre, il n’appartient pas à un député ou à un homme politique quel qu’il soit de pouvoir contraindre les enseignants à mettre fin à leur mouvement de manifestation pacifique. Bien au contraire, les députés trouveraient là de la matière à travailler pour aider le gouvernement à respecter les droits des enseignants. Le Congo dispose aujourd’hui d’énormes potentialités économiques avec des revenus financiers capables de répondre aux attentes des enseignants plongés dans une situation de grande précarité.
Selon les informations en notre possession, des Proviseurs et Directeurs d’écoles ont perçu de l’argent afin d’inciter les enseignants à dispenser des cours en attendant la reprise effective de l’école. Des pratiques contraires à l’éthique et à la déontologie professionnelle.
Un groupe de syndicalistes, visiblement « intéressés », donc corrompus a été mobilisé et déployé pour mener des actions de désinformation dans l’ensemble du territoire congolais. Effectivement, ces enseignants se seraient rendus dans des villes et villages reculés à l’instar du village de Inda dans le département du Kouilou au sud du pays et des quartiers nord de Brazzaville afin d’annoncer la fin de la grève, et dénoncer les pratiques « déviantes » des syndicalistes. Afin d’appuyer leur discours, ils offraient la bière et autres aux directeurs d’école et enseignants. Ces enseignants bénéficiaient aussi du soutient des autorités locales installées dans ces localités.
Les médias pro-gouvernementaux relayaient eux aussi de fausses informations concernant la grève, ne pouvant être contredit, car ils jouissent d’un réel monopole à la télévision. Cette campagne de désinformation aurait pu être si les syndicalistes étaient dupes, forte heureusement, il n’était pas difficile pour eux de comprendre les manœuvres du gouvernement.
Le gouvernement a lancé un appel vague à la reprise du dialogue avec toutes les centrales syndicales pour discuter des problèmes de l’ensemble des agents de la fonction publique congolaise. Cependant, il refuse d’engager un dialogue direct et constructif avec les responsables de la CRPE, qui permettrait néanmoins de répondre aux revendications des enseignants alors en grève et, à terme, d’obtenir pacifiquement la fin à la grève de manière légale. Il faut rappeler que les revendications soulevées par les enseignants ne datent pas d’aujourd’hui. Des rencontres indénombrables se sont succédé dans le passé entre le Gouvernement et les corporations syndicales des enseignants. Malheureusement, force est de constater l’absence d’une réelle volonté politique de résoudre les griefs qui minent le secteur de l’enseignement primaire et secondaire. A l’inverse, les membres du Gouvernement trouvent leur plaisir à porter atteinte aux libertés syndicales et aux droits de l’Homme par un exercice dictatorial du pouvoir. Le parallélisme de forme et de procédure est un principe sacro-saint du droit administratif. Principe balustrade contre toute usurpation de qualité ou de fonction. Le principe du parallélisme des formes voudrait que lorsque une décision administrative a été prise en respectant certaines formes, la décision inverse ne peut être prise qu’en suivant la même procédure. Le mot d’ordre de grève lancé par le CRPE à l’issue d’une assemblée générale, ne pouvait être suspendu ou levé que par la même structure et à la suite d’une assemblée générale. Aucune centrale ou corps syndicale n’ayant qualité de suspendre ou de lever cette grève qui paralyse le secteur de l’éducation, tous les discours et déclarations prononcés par la Confédération syndicale des travailleurs du Congo (CSTC), la Confédération syndicale libre et autonome du Congo (COSYLAC) et autres demandant au personnel enseignant de reprendre les cours relevaient de l’usurpation pure et simple de titre et de fonction. C’est pourquoi, il est nécessaire que le gouvernement engage un échange fructueux avec les responsables de la CRPE pour une solution pacifique et durable.
- Conclusion
Le droit à l’éducation et la liberté syndicale sont des droits de l’Homme à part entière pour lesquels le Gouvernement congolais à l’obligation de garantir et d’en assurer la pleine jouissance. La République du Congo, membre du Conseil des Nations Unies aux Droits de l’Homme est partie au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il appartient donc au Gouvernement, plus particulièrement au Président de la République, en sa qualité de garant des traités et accords internationaux de prendre ses responsabilités pour que le droit à l’éducation ne soit pas une vue de l’esprit. Le droit à l’éducation englobe non seulement le droit pour les enfants d’étudier et d’aller à l’école, mais aussi pour les enseignants le droit à une rémunération normale et satisfaisante assortie des avantages financiers liés à l’exercice de la profession. Les revendications des enseignants paraissent pourtant légitime, tant les conditions de vie et de travail sont précaires, il est donc condamnable de menacer de suspension le maigre salaire pour ceux qui exercent leur droit syndical. C’est tout à fait inacceptable de vouloir bafouer un droit pour en respecter un autre. Les enfants ont le droit d’aller à l’école mais les enseignants ont aussi le droit de demander des conditions de travail dignes. Le Gouvernement à l’impérieux devoir de trouver un juste milieu. « L’Etat reconnaît, à tous les citoyens, le droit au travail et doit créer les conditions qui rendent effective la jouissance de ce droit ». (Article 24 de la constitution)
En général, il n’y a pas que le secteur éducatif qui est confronté à ces problèmes de mauvaise condition de travail et de valorisation de la profession. Ces problèmes extrêmement aigus sont un dénominateur commun au secteur public de l’Etat.
- Recommandations
Au regard de cette situation préoccupante, l’OCDH recommande au Gouvernement:
– De dialoguer immédiatement avec les responsables de la CRPE pour une solution pacifique à long terme;
– De mettre fin immédiatement à l’organisation des menaces et intimidations à l’encontre des syndicalistes et enseignants ;
– De respecter en toute circonstance la liberté syndicale et les droits de l’Homme ;
– De mettre la lumière sur toutes les arrestations et détentions des syndicalistes et enseignants et engager les responsabilités des commanditaires ;
– De respecter les engagements librement consentis du pacte international relatif aux droits économiques et socioculturels.
- Acronymes :
BSN : Bureau de sécurité nationale
DDST : Direction départementale de la surveillance du territoire
DGST : Direction générale de la surveillance du territoire
COSYLAC : Confédération syndicale libre et autonome du Congo
CRPE : Concertation pour revalorisation de la profession enseignant
CSTC : Confédération syndicale des travailleurs du Congo
INRAP : Institut national de recherche à l’appui pédagogique
OCDH : Observatoire congolais des droits de l’Homme
OIT : Organisation internationale du travail