A partir des témoignages recueillis, cette étude montre que les manifestations d’esclavage existent bel et bien au Congo parmi les peuples autochtones.

La discrimination et l’exploitation dont des populations autochtones minoritaires par les bantous majoritaires souffrent sont encore profondes et troublantes de nos jours. Et leur survie en tant que peuple distinct ayant droit au respect de leurs droits humains individuels et collectifs en dépend.

L’étude indique, qu’en se basant sur des préjugés à l’encontre des peuples autochtones, les bantous affichent un complexe de supériorité et les considèrent comme un peuple primitif car leur mode de vie est resté inchangé depuis la nuit des temps. Or, les bantous, qui les maintiennent dans une relation d’exploitation, ne comprennent pas que le fait de pratiquer un mode de vie distinct est un choix des peuples autochtones.

A l’origine, cette relation, socialement acceptable, s’est transformée en une relation de « maître-esclave » au fil des temps. Aujourd’hui encore, dans certains départements du Congo, des notables bantous sont « propriétaires » des autochtones, renforçant ainsi le conditionnement social qui s’est opéré durant des années.

La pratique la plus répandue est celle du travail forcé : la personne est astreinte à travailler contre son gré, sous la menace de violence ou toute autre forme de punition ou contrainte. Elle subit des restrictions au niveau de sa liberté et un degré de pouvoir que confère le droit de propriété est ainsi exercé sur sa personne. Même si elle est payée pour sa prestation de service, elle ne peut refuser et les rémunérations sont bien inférieures aux taux qui devraient être pratiqués.

L’étude révèle également que le travail pour dettes, situation selon laquelle des individus offrent leur labeur en échange d’un prêt et par la suite perdent tout contrôle sur leurs conditions de travail et leurs rémunérations, est aussi présent. Le remboursement de la dette, qui peut s’avérer dérisoire, est souvent majoré à la hausse par des taux d’intérêts excessifs. Souvent, ils s’endettent auprès de plusieurs bantous et les dettes se perpétuent ainsi à travers un cycle vicieux auquel ils ne peuvent s’échapper.

Cette situation perdure, essentiellement, du fait de la non application des lois existantes et d’une culture d’impunité totale dont jouissent les responsables présumés.

Le Congo est partie à plusieurs instruments juridiques internationaux qui condamnent la discrimination et toute forme d’esclavage.

La Constitution du 20 janvier 2002 est encore plus sévère lorsqu’en ses articles 24, 25 et 26, elle garantit le droit au travail et interdit le travail forcé et l’esclavage. L’article 26 dispose : « Nul ne peut être astreint à un travail forcé, sauf dans le cas d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction légalement établie. Nul ne peut être soumis à l’esclavage »

Par ailleurs, la protection spécifique des peuples autochtones contre le travail forcé et contre toutes les formes d’esclavage est consacrée dans la loi n°5-2011 du 25 février 2011 portant promotion et protection des droits des populations autochtones en République du Congo.

En effet, le Président de la république du Congo a promulgué cette loi à l’issue d’un processus participatif qui a duré près de huit ans.

Cette loi garantit la non-discrimination des peuples autochtones dans la jouissance et/ou l’exercice de leurs droits basés sur leur qualité de peuple autochtone. L’accès à la justice et une assistance judiciaire, en tant que besoin, sont garantis. Quant aux droits relatifs au travail, la loi réitère que toute discrimination, que ce soit directe ou indirecte, est interdite dans l’accès à l’emploi, les conditions de travail, la formation professionnelle, la rémunération et la sécurité sociale. La loi garantit la protection particulière des peuples autochtones contre l’astreinte au travail forcé, l’esclavage sous quelque forme que ce soit, y compris la servitude pour dette.

Cette loi qui est une première en Afrique vient à point nommé pour faire face à ce fléau. Il est évident qu’elle est le fruit du dynamisme de la société civile et de la volonté du gouvernement congolais de garantir les droits des populations autochtones. Cependant, un défi demeure pour son effectivité : la sensibilisation de tous les acteurs, principalement les responsables de l’application des lois et les autochtones. Ceux-ci doivent s’en approprier pour prétendre s’en prévaloir.

En définitive, l’esclavage, les pratiques analogues à celui-ci, tel que le travail forcé et le travail pour dettes sont présentées à travers des témoignages dans ce rapport comme une manifestation de la gravité des conditions dans lesquelles vivent les peuples autochtones en république du Congo. Vu la gravité de la situation, l’OCDH a formulé plusieurs recommandations afin d’éviter la pérennisation de ce système de discrimination et d’exploitation d’un peuple par un autre, transmis de génération en génération, qui n’est pas moins qu’un outrage à la dignité humaine.

Aux autorités congolaises :

– Prendre les textes d’application de la loi 5-2011 du 11 février 2011 portant promotion et protection des populations autochtones, notamment ses dispositions contre l’esclavage, les pratiques analogues à l’esclavage, au travail forcé et au travail pour dettes.

– Mener une campagne de sensibilisation sur la loi 5-2011 du 11 février 2011 portant promotion et protection des populations autochtones, notamment à l’endroit des populations autochtones et des responsables de l’application des lois.

– Élaborer et mettre en œuvre un programme national de lutte contre la problématique de l’esclavage, des pratiques analogues à l’esclavage, y compris le travail forcé et le travail pour dettes à l’encontre des populations autochtones.

– Prendre sans délais les mesures pour ratifier la Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989.

– Assurer la représentation des peuples autochtones dans les instances de prise de décisions politiques, au niveau local, régional et national.

Aux instances internationales :

– Les mécanismes juridiques mis en place par les différents traités internationaux doivent s’intéresser à la problématique présentée dans ce rapport et demander des comptes aux autorités congolaises.

– L’OIT doit apporter son appui aux autorités congolaises dans de but d’effectuer une étude sur la problématique mise en exergue dans le présent rapport.

– Les agences onusiennes doivent donner leur appui au gouvernement dans toutes les politiques d’accompagnement en faveur des peuples autochtones.

– Le Rapporteur Spécial sur la situation des droits humains et des libertés fondamentales des peuples autochtones de l’ONU doit veiller au respect par le Congo, des normes relatives à la protection des populations autochtones contre les dispositions contre l’esclavage, les pratiques analogues à l’esclavage, au travail forcé et au travail pour dettes.

– Le Groupe de travail de la Commission africaine sur les peuples autochtones devrait entreprendre une mission de suivie au Congo.

A la Société Civile :

– Dénoncer la problématique traitée dans ce rapport afin que les pratiques décriées ne passent plus sous silence.

– Rechercher des partenariats avec plusieurs acteurs dans la dénonciation de la problématique et dans le plaidoyer pour l’amélioration des conditions de vie précaires dans lesquelles vivent les populations autochtones au Congo.

– Aider au renforcement des capacités au sein des organisations regroupant les peuples autochtones.

– Encourager la population autochtone à s’organiser afin de pouvoir faire face à leur situation à partir d’une position de force.